L'avenir de la santé mondiale : Prévision de la charge de morbidité jusqu'en 2050
Alors que le monde continue à se débattre avec les impacts durables de la pandémie de COVID-19, les décideurs politiques et les responsables de la santé publique s'attachent de plus en plus à comprendre ce que l'avenir peut réserver à la charge de morbidité mondiale. Une nouvelle analyse complète publiée dans The Lancet fournit des informations essentielles sur les tendances attendues en matière de mortalité, d'incapacité et d'espérance de vie au cours des prochaines décennies.
L'étude, menée par les collaborateurs du projet Global Burden of Diseases, Injuries, and Risk Factors (GBD), présente des prévisions détaillées de la charge de morbidité pour 204 pays et territoires entre 2022 et 2050. Sur la base d'une analyse approfondie des facteurs démographiques, socio-économiques et épidémiologiques, les chercheurs modélisent la trajectoire probable de 359 maladies et traumatismes différents dans le cadre d'un scénario de "référence" qui suppose la poursuite des tendances actuelles. Ils évaluent également l'impact potentiel de l'élimination des principaux facteurs de risque dans le cadre de scénarios alternatifs.
Les résultats dressent un tableau complexe et nuancé du paysage sanitaire mondial pour les années à venir. Si les nouvelles sont largement positives, avec des améliorations continues de l'espérance de vie et des réductions de la charge de morbidité normalisée selon l'âge, l'analyse identifie également des changements inquiétants dans les principales causes d'invalidité et de mortalité qui nécessiteront une action politique concertée.
Les chercheurs insistent sur le fait que ces prévisions ne sont pas gravées dans le marbre. Elles représentent plutôt un point de départ pour comprendre l'éventail des futurs plausibles - et les opportunités critiques qui existent pour influencer positivement la santé des populations dans le monde entier.
Au niveau le plus élevé, le scénario de référence de l'étude GBD prévoit une augmentation continue de l'espérance de vie mondiale, qui passera de 73,6 ans en 2022 à 78,2 ans en 2050. Cela représente un ralentissement par rapport aux augmentations rapides observées au cours des décennies précédant la pandémie de COVID-19, mais indique néanmoins que les progrès se poursuivent.
Espérance de vie mondiale et super-régionale, 1990-2050 pour les femmes (A) et les hommes (B)
Ces résultats suggèrent que, sauf chocs majeurs, le monde est prêt à poursuivre l'amélioration de la longévité et de l'état de santé général au cours des prochaines décennies. Toutefois, les auteurs notent plusieurs mises en garde importantes.
Premièrement, les augmentations prévues, bien que substantielles, devraient se produire à un rythme plus lent que les années précédentes. Ce ralentissement est attribué à divers facteurs, notamment les effets persistants du COVID-19, la possibilité d'un recul des progrès réalisés dans la lutte contre les maladies transmissibles et les défis liés à la prise en charge de la charge croissante des maladies non transmissibles (MNT).
Deuxièmement, si l'espérance de vie et l'espérance de vie en bonne santé devraient augmenter partout, d'importantes disparités subsisteront entre les régions. Même en 2050, les chercheurs prévoient un écart de près de 10 ans dans l'espérance de vie des femmes entre la super-région à revenu élevé (85,3 ans) et l'Afrique subsaharienne (75,5 ans). Pour combler ces écarts, il faudra des investissements et des interventions ciblés, adaptés aux besoins particuliers des populations les plus défavorisées du monde.
Au-delà des tendances générales en matière de longévité, les prévisions de l'étude GBD révèlent une transformation fondamentale de la charge mondiale de morbidité qui aura de profondes répercussions sur les systèmes et les priorités de santé.
Plus précisément, l'analyse prévoit une évolution continue des maladies transmissibles, maternelles, néonatales et nutritionnelles (CMNN) vers les maladies non transmissibles (MNT). Au niveau mondial, la proportion d'années de vie corrigées de l'incapacité (AVCI) attribuées aux MNT devrait passer de 64,2 % en 2022 à 77,6 % d'ici à 2050.
Décomposition de l'évolution de l'espérance de vie mondiale et super-régionale, 2022-50, par causes de niveau 2, pour les scénarios de référence et combiné
L'augmentation des maladies non transmissibles ne se limite pas non plus à la mortalité. L'étude prévoit également qu'une part croissante de la charge de morbidité mondiale proviendra des années vécues avec un handicap (AVCI) plutôt que de la mortalité prématurée. Au niveau mondial, les AVCI devraient représenter 41,1 % du nombre total d'AVCI en 2050, contre 33,8 % en 2022.
L'évolution vers la morbidité est la plus prononcée en Afrique subsaharienne, où les maladies de longue durée devraient représenter 35,6 % de la charge de morbidité d'ici à 2050, contre seulement 20,1 % en 2022. Cela souligne l'importance croissante de la lutte contre les maladies chroniques et invalidantes dans des régions qui ont toujours été confrontées à des maladies aiguës et mortelles.
Implications et opportunités
Les prévisions de l'étude GBD ont des implications considérables pour les priorités et les politiques de santé mondiale dans les décennies à venir. Si la trajectoire générale est celle d'un progrès, l'analyse met également en lumière plusieurs défis majeurs qui nécessiteront des réponses concertées et multiformes.
Tout d'abord, l'augmentation continue des maladies non transmissibles représente une menace majeure pour les gains durement acquis en matière d'espérance de vie et de vie en bonne santé. Les cardiopathies ischémiques, les accidents vasculaires cérébraux, le diabète, les maladies respiratoires chroniques et d'autres affections chroniques non transmissibles sont notoirement difficiles à traiter, nécessitent souvent une prise en charge à vie et représentent une charge économique considérable pour les systèmes de santé.
La lutte contre cette épidémie croissante de maladies non transmissibles nécessitera une réorientation fondamentale des stratégies de santé mondiale : il ne s'agira plus de se concentrer sur les maladies infectieuses et la santé maternelle et infantile, mais d'adopter une approche plus équilibrée qui s'attaque également aux facteurs comportementaux, métaboliques et environnementaux des maladies chroniques. Cela impliquera une série d'interventions, allant de la lutte contre le tabagisme et de l'amélioration de l'alimentation à une meilleure gestion de l'hypertension, du cholestérol et de la glycémie.
Il est important de noter que les scénarios alternatifs de l'étude GBD démontrent que des gains de santé significatifs sont possibles grâce à des efforts concertés visant à réduire l'exposition aux principaux facteurs de risque. Les chercheurs estiment que l'élimination des risques comportementaux et métaboliques tels que le tabagisme, une alimentation malsaine et un indice de masse corporelle élevé pourrait réduire la charge de morbidité mondiale de plus de 15 % en 2050, par rapport au scénario de référence. Le ciblage des risques environnementaux, tels que la pollution de l'eau et de l'air, pourrait apporter des avantages supplémentaires.
Bien entendu, la réduction des facteurs de risque constituera un immense défi, qui nécessitera une volonté politique sans précédent, une collaboration intersectorielle et des investissements soutenus. Mais les bénéfices potentiels, en termes de vies sauvées et de handicaps évités, sont considérables.
Au-delà de la transition vers les MNT, les prévisions du GBD soulignent également l'importance de relever les défis persistants liés aux maladies transmissibles, en particulier dans les régions les plus vulnérables du monde. Alors que le fardeau des maladies infectieuses devrait globalement diminuer, certaines maladies comme la tuberculose, le paludisme et les maladies tropicales négligées restent obstinément élevées en Afrique subsaharienne et dans certaines parties de l'Asie.
Il sera essentiel de redoubler d'efforts pour lutter contre ces ennemis de longue date, même si l'attention et les ressources mondiales se tournent de plus en plus vers les maladies non transmissibles. Si l'on ne maintient pas l'attention et le financement de la lutte contre les maladies transmissibles, on risque de compromettre les progrès durement acquis et d'aggraver les inégalités sanitaires existantes entre les pays et à l'intérieur de ceux-ci.
Dans le même temps, l'importance croissante du handicap en tant que composante de la charge de morbidité mondiale souligne la nécessité pour les systèmes de santé d'évoluer au-delà d'une focalisation étroite sur la réduction de la mortalité. Garantir l'accès à des services de réadaptation de qualité, à des technologies d'assistance et à des soins complets pour les maladies chroniques doit devenir une priorité centrale. Cela nécessitera des mécanismes de financement innovants, le développement de la main-d'œuvre et une meilleure intégration des interventions axées sur le handicap dans les systèmes de couverture sanitaire universelle.
Enfin, les prévisions de l'étude GBD soulignent l'importance cruciale d'un investissement continu dans la surveillance de la santé mondiale, la recherche et la collecte de données. Des informations précises, opportunes et détaillées sur les tendances des maladies, l'exposition aux facteurs de risque et les performances des systèmes de santé seront essentielles pour orienter les politiques, cibler les interventions et suivre les progrès accomplis dans la réalisation des objectifs clés.
Il est encourageant de constater que les chercheurs démontrent que leur cadre de modélisation peut produire des prévisions à court terme raisonnablement précises, comme en témoignent les mesures de compétence rapportées pour la période de validation 2010-2019. Cependant, le véritable test sera la capacité du modèle à anticiper les changements à plus long terme dans les schémas de maladies et à anticiper les menaces émergentes. Le perfectionnement et la validation continus de ces outils de prévision devraient être une priorité.
Vers un avenir plus sain
Les projections globales de la charge de morbidité de l'étude GBD offrent une vision de la santé mondiale pour les décennies à venir qui donne à réfléchir, mais qui est finalement porteuse d'espoir. Si d'importants défis se profilent, l'analyse met également en évidence une myriade de possibilités d'améliorer les conditions de vie et le bien-être humain à grande échelle.
"Les prévisions du rapport mondial sur la santé montrent clairement que le fardeau de la mauvaise santé reste concentré de manière disproportionnée dans les populations les plus défavorisées du monde. Garantir l'accès universel aux services de santé essentiels, tout en s'attaquant aux causes profondes des disparités en matière de santé, sera essentiel pour parvenir à un avenir véritablement équitable".
Fondamentalement, les prévisions soulignent que des progrès sont possibles, mais qu'ils nécessiteront un effort concerté et multidimensionnel allant bien au-delà du domaine traditionnel du secteur de la santé. La transition épidémiologique des maladies transmissibles vers les maladies non transmissibles exigera des niveaux sans précédent d'engagement politique, de collaboration intersectorielle et d'investissement à long terme.
Les décideurs politiques, les responsables de la santé publique et les partenaires mondiaux du développement doivent être prêts à adapter leurs stratégies, leurs priorités et leurs modèles d'allocation des ressources à l'évolution du paysage. Il s'agira de renforcer la capacité des systèmes de santé à lutter contre les maladies chroniques, tout en restant vigilant et en se concentrant sur les programmes de lutte contre les maladies transmissibles qui n'ont pas encore été menés à bien. Il faudra également prendre des mesures audacieuses pour s'attaquer aux déterminants sociaux, économiques et environnementaux qui sont à l'origine des maladies transmissibles et non transmissibles.
Tout cela doit être sous-tendu par un accent renouvelé sur l'équité, tant au sein des pays qu'à l'échelle mondiale. Les prévisions du rapport mondial sur le développement humain montrent clairement que le fardeau de la mauvaise santé reste concentré de manière disproportionnée dans les populations les plus défavorisées du monde. Garantir l'accès universel aux services de santé essentiels, tout en s'attaquant aux causes profondes des disparités en matière de santé, sera essentiel pour parvenir à un avenir véritablement équitable.
En fin de compte, la voie à suivre ne sera pas facile. Mais les projections de l'étude GBD offrent une feuille de route claire - et un puissant appel à l'action. En tenant compte des enseignements de cette analyse et en mobilisant la volonté politique et les ressources nécessaires, les responsables de la santé mondiale ont une occasion sans précédent de prolonger l'arc de progrès, de garantir des améliorations durables du bien-être humain et de tenir la promesse de la santé pour tous.
Référence(s)
- Wang, W., Volkow, N.D., Berger, N.A. et al. Associations of semaglutide with incidence and recurrence of alcohol use disorder in real-world population. Nat Commun 15, 4548 (2024). https://doi.org/10.1038/s41467-024-48780-6
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